L'oracle de l'Etoile et du Soleil.
« Trois anges noirs
descendront du ciel
Pour anéantir l’Etoile et le
Soleil
Mais leurs cœurs corrompus
S’enflammeront et seront vaincus
Pour peu que l’Etoile et le
Soleil
Sortent de leur sommeil
Et recouvrent ce monde gangrené
D’un halo d’espoir et de paix. »
Le vieil homme s’affaissa un instant, sous le regard attentif de son petit fils. Ce dernier n’avait pas perdu une miette des propos de son aïeul et attendait paisiblement qu’il reprenne ses esprits tout en consignant ses paroles dans le petit carnet qui reposait sur la tablette devant lui.
D’aussi loin qu’il se souvienne, Sully avait toujours été présent aux oracles de son grand père. Mais c’était la première fois qu’il en entendait un d’aussi étrange et obscur. Pour lui, cette prophétie n’avait absolument aucun sens et c’est en fronçant ses sourcils d’un blond lumineux qu’il rapporta les derniers mots sur le papier jauni par les années.
Amadeus rouvrit enfin les yeux et fixa intensément le regard bleu clair du jeune homme qui se tenait près de lui. A 21 ans, il aurait du être marié depuis longtemps, se dit-il pour la antépénultième fois, mais malgré un charme évident et un grand succès auprès des femmes, il semblait totalement se désintéresser de la question, préférant rapporter les oracles de son grand père afin de les voir s’accomplir.
« Tes oracles permettent d’améliorer le quotidien des villageois, disait-il souvent. Ce serait sacrilège que de ne pas les transmettre. »
D’ordinaire, ceux-ci portaient sur les récoltes, les conflits entre villages ou bien sur certaines décisions à prendre mais, celui de cette nuit semblait, bien plus important que de coutume.
Papy Voitou, comme on l’appelait ici, le sentait au plus profond de son cœur.
- Sully ?
- Oui, grand père.
- J’aimerai que tu rapportes cet oracle à Mamie Oeildivin. Je voudrai savoir ce qu’elle en pense.
- Je pars tout de suite, dit le jeune homme en se relevant, rangeant le petit carnet dans la poche de sa veste.
Quand Sully sortit, Papy Voitou se retrouva alors seul dans la petite chambre des oracles au parfum de lavande et s’abîma dans sa réflexion.
Le temps était enfin venu pour le monde de changer mais le chemin semblait encore bien trouble et incertain. L’Etoile et le Soleil devraient se rencontrer et affronter les trois anges noirs mais rien ne présageait qu’ils réussiraient dans leur mission…
Amadeus releva la tête, brusquement saisi d’une angoisse sourde, comme si une présence malsaine se tenait face à lui. Il scruta les murs nus de la petite pièce, attentif au moindre bruit, au moindre mouvement, et pria silencieusement : « Sully, reviens vite mon garçon ».
* *
*
Mamie Oeildivin se tenait sur le seuil de sa cahute, attendant visiblement son visiteur tardif. Elle était vêtue d’une vieille robe grise et sans ornement, conférant à sa silhouette un aspect décharné du à sa maigreur excessive. Sully l’avait toujours connue ainsi, maigre au possible malgré un appétit gargantuesque.
Il s’approcha de la vieille femme et l’étreignit avec affection. Adamia lui rendit sa chaleureuse accolade et lui pinça les joues en plongeant dans son beau regard bleu, les yeux pétillants de joie de le revoir. Ce petit était vraiment un garçon hors du commun, d’une patience et d’une gentillesse exemplaire. Jamais il n’avait fait défaut aux deux prophètes et aujourd’hui encore il était là, ignorant de la douleur qui allait bientôt l’accabler.
- Rentre mon petit Sully, dit-elle en tirant la porte pour le laisser passer. Et raconte moi donc la dernière prophétie de ce cher Amadeus.
Sully ne se fit pas prier et, aussitôt installé sur une des chaises de la maison, il sortit son carnet pour en lire les dernières phrases prononcées par son grand père.
Adamia hocha la tête, donnant foi aux quelques mots sans queue ni tête de l’oracle.
- Nous savions que ce jour viendrait, dit-elle calmement.
- Comment ça ? Questionna Sully qui pour sa part n’avait jamais entendu cette prédiction auparavant.
Adamia resta silencieuse un moment, se remémorant ce temps lointain ou l’oracle avait été proféré pour la première fois.
- Nous étions si jeunes à l’époque… A peine plus âgée que toi, mon petit Sully… Nous étions trois. Amadeus, moi-même et… Karen. La si envoûtante et timide Karen. Douce comme la brise, pure comme la rosée.
Elle marqua une pause que le jeune homme n’interrompit pas. Il avait appris à garder ses questions pour plus tard, attendant d’avoir tous les éléments pour demander des explications.
- Un soir, reprit Mamie Oeildivin, nous avions décidé d’allier nos trois dons pour consulter l’oracle. Et une chose étonnante s’est produite… Les images ne se bousculaient pas seulement dans nos têtes mais bien sous nos yeux, au centre du cercle que nous formions. Nous avons nettement vu trois anges noirs descendre du ciel et affronter un homme et une femme, l’Etoile et le Soleil, dans une débauche de couleurs et de sons. Ils rayonnaient. Leurs pouvoirs semblaient sans précédent mais, malgré tout, il ne semblait pas que l’issue du combat soit certaine pour autant… Nous étions bien sûr très effrayés par le phénomène et quand une voix sortie d’on ne sait où s’éleva et prononça l’oracle à notre place, nous brisâmes le cercle, mettant fin à la vision. Nous n’avons jamais retenté l’expérience…
Un silence pensif s’installa, vite brisé par Sully :
- Et… Qu’est devenu cette… Karen ?
- Nous l’ignorons, soupira Adamia. Elle disparut quelques jours plus tard. Visiblement, cet oracle l’avait beaucoup décontenancé et elle semblait ne plus trouver le sommeil. Mais ni ton grand père ni moi-même n’avons jamais réussi à la faire parler… Amadeus et Karen ont été plus affectés que moi par cette vision mais je n’ai jamais su pour quelle raison. Peut être parce que je n’ai jamais eu d’enfants et que, par conséquent, cette prophétie ne mettait pas en danger ceux qui me sont proches… Je n’en sais rien… Je sais toutefois que, comme ton grand père et comme Karen, je mourrais avant qu’elle ne s’accomplisse…
- Mais, balbutia Sully avec étonnement, je croyais qu’elle commençait justement aujourd’hui…
Adamia leva sur lui un regard empreint de tristesse, fataliste. Un regard qui semblait dire « oui, je vais mourir ce soir ».
- Il est déjà trop tard Sully. Ils sont là…
A peine Adamia avait elle terminé sa phrase que la lumière s’obscurcit et qu’un vent violent se leva dans la petite maison, faisant s’envoler les papiers et tentures, brisant les pots et les vases, plaquant leurs corps avec force au sol. Sully tenta de résister mais il pouvait tout juste ouvrir les yeux et se redresser, entendant Adamia hurler de terreur et de douleur non loin de lui. Impuissant, il se traîna jusqu’à la vieille femme mais avant même de l’atteindre, ses mains rencontrèrent une flaque rouge sombre, presque noire, chaude et douce comme peut l’être la vie. Il plissa les paupières et aperçut le corps inerte de mamie Oeildivin, fixant sans le voir le dessous de la table en bois.
- Adamia, murmura-t-il d’une voix rauque et hachée, tendant la main vers son amie avec espoir.
Une forme sombre s’approcha et se pencha alors sur lui. Elle fixa ses grands yeux verts sur le jeune homme et, d’un mouvement brusque, lui asséna un coup qui lui fit perdre connaissance. L’obscurité se referma sur Sully et le second des anges noirs disparut dans la nuit rejoindre ses acolytes.
Deux des trois prophètes étaient vaincus…
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