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Un Monde de Fictions
18 septembre 2008

Mutants

Une pluie fine et pénétrante tombe doucement sur la ville presque déserte. Personne n’ose mettre son nez dehors depuis près de trois jours que dure ce temps. Tous restent bien au chaud à la maison. Ce n’est qu’un dimanche d’octobre mais l’hiver semble déjà là, étendant inexorablement son emprise glacée sur le cœur des gens.
Ce sentiment est d’autant plus vrai pour Emilie, prostrée au chevet de sa mère. Cela fait maintenant 5 jours qu’elle ne quitte plus la mourante, attendant avec angoisse et douleur le dernier souffle de celle qui lui a donné la vie. Et quelle vie !
Elle relève doucement la tête pour fixer son regard torturé sur la porte de la chambre. Elle entend distinctement la télé cracher les remarques du commentateur du match de foot et, par moment, la voix vociférante de son beau-père, hurlant des injures aux joueurs courants dans la petite lucarne du poste de télévision.
Emilie déteste son beau-père. Revenir ici a été un véritable supplice pour la jeune femme. En pension depuis ses 14ans, elle espérait ne jamais revoir cet homme. A aujourd’hui 26ans, professeur d’arts, elle a la désagréable sensation que le temps a suspendu son cours, comme pour lui rappeler qui elle est et d’où elle vient.
Elle sert brièvement la main de sa mère et celle-ci ouvre les yeux. Son regard est fatigué, meurtri, suppliant.

- Milie, chuchote-t-elle avec difficulté.

Emilie se rapproche un peu plus de sa mère, pour lui éviter de hausser la voix.

- Maman…

- Milie, ma chérie… Je… je suis si fière de toi.

Une larme coule sur le visage ridé de la mourante, se perdant dans sa chevelure encore sombre.

- Je le sais maman. Reposes toi, je t’en prie.

- Non, répond-elle en secouant faiblement la tête. Il faut que tu saches… Tu n’es pas un … monstre, tu es une jeune femme merveilleuse… avec un don… extraordinaire. Utilise le… pour faire de grandes choses…

- Maman…

Emilie tente vainement de retenir ses larmes mais une goutte salée finie par s’écraser sur sa main. Elle sert un peu plus fort celle de sa mère qui sourit.

- Dès que je serai partie, fuis. Ne le laisse pas… ne le laisse pas t’utiliser. Tu… tu es grande maintenant. Et indépendante alors… fuis, loin de lui.

La malade ferme les yeux, se laissant envahir par une respiration saccadée. Emilie remonte doucement la couverture sous le menton de sa mère. Elle sait qu’elle va dormir maintenant. Alors, quand elle entend son souffle s’apaiser, elle se lève et regagne le petit lit de fortune installé à coté de celui en vieux chêne de ses parents.
Son regard fait une dernière fois le tour de la pièce, pour s’assurer que tout est en ordre, et elle éteint la lumière pour laisser place à l’obscurité pesante.

Quelques heures plus tard, le grincement du parquet craquant sous le poids de son beau-père la réveille en sursaut. Elle se remémore rapidement où elle est et ce qu’elle y fait. Puis le silence envahit à nouveau la nuit. Un silence anormal, un silence inquiétant. Tant et si bien que son cœur se met à battre à toute vitesse.
Non. Non…
Elle allume rapidement la lampe et se tourne vers sa mère. Son visage paisible semble le même mais Emilie voit tout de suite la différence. Ses traits d’ordinaire tirés par la douleur sont maintenant détendus et un petit sourire se dessine sur ses lèvres pâles.
Emilie se lève et prend la main glacée de celle qu’elle a tant aimé. Un léger sanglot s’échappe de sa gorge et de nouvelles larmes coulent jusqu’à son menton, comme une source intarissable. Elle ne sait plus combien de temps elle est restée ainsi, sans bouger, pleurant sa défunte mère, mais un nouveau bruit dans le couloir la sort subitement de sa torpeur.
D’un geste fébrile, elle s’empare des couvertures pour recouvrir sa mère et les touche doucement du bout des doigts. Peu à peu, l’amas de couvertures semble devenir moins sombre, perdant leur couleur marron mais gagnant en solidité. La matière est parcourue d’un léger frisson, se cristallisant pour former un cercueil de verre à la blanche neige. Un cercueil de cristal pour conserver à jamais le corps de sa mère.

Elle regarde une nouvelle fois son œuvre et s’empare précipitamment de ses affaires éparses pour les fourrer d’une main tremblante dans son sac de voyage. Elle n’a plus beaucoup de temps avant que son beau-père ne décide de venir voir si son épouse n’a pas encore passée l’arme à gauche.
Elle se saisit de sa brosse et du cadre photo ornant la coiffeuse quand, effectivement, la vieille porte s’ouvre dans un grincement de gonds mal huilés.
Maurice semble se pétrifier d’un bloc à la vue de sa femme et Emilie espère, l’espace d’un instant, qu’il ne va pas la voir. Mais c’était sans compter sur sa malchance habituelle. D’un mouvement lourd, il tourne sa masse imposante vers la jeune femme et la toise d’un regard narquois.

- Tu pars déjà ?

- Je n’ai plus rien à faire ici, rétorque-t-elle d’une voix qu’elle veut vindicative.

- Et où compte tu aller sale monstre ?

La jeune femme frémit à l’insulte. Elle l’a déjà entendu des milliers de fois de sa bouche mais, cette nuit, elle n’est pas d’humeur à supporter ses méchancetés.

- Je ne suis pas un monstre, je suis une mutante.

- Je ne vois pas la différence, rétorque son beau-père avant de se tourner vers sa mère. Et tu trouve que ça c’est une sépulture décente ? Ne crois tu pas que ta mère aurait préféré finir dans un cercueil avec des oreillers en satin plutôt que dans un bloc de verre froid et blasphématoire ?

Emilie n’est pas certaine que Maurice connaisse la signification de blasphématoire et elle ferme un court instant les yeux pour ne pas se laisser envahir par la colère.

- C’est ma mère, c’est à moi de choisir ce qu’il convient pour elle.

- Et c’est ma femme ! rugit-il.

- Ta femme ! Ta femme ?? C’est pourtant toi qui la laissé mourir en refusant qu’elle consulte un docteur parce que c’était trop onéreux. C’est pourtant toi qui as passé toutes tes journées vautré dans le canapé pendant qu’elle agonisait. C’est pourt…

Le bruit d’une gifle retentissante coupe sa plaidoirie et laisse place à un silence de plombs. Malgré la corpulence de l’homme, Emilie ne l’a pas entendu arriver. Une marque rouge orne maintenant sa joue et la colère enfle rapidement dans son cœur.

- Et toi ? crache son beau-père. Qu’attendais tu pour nous aider alors qu’on peinait à payer les factures ? A quoi te servent tes pouvoirs de mutant si tu ne les utilises pas pour ceux qui t’ont élevés et qui se sont saignés pour t’offrir des études ?

- Maman ne voulait pas…

- Maman ne voulait pas ! Hé bien vois ou ça la mener ta mère ! Tu peux être fière de toi, monstre. Car c’est ce que tu es, un monstre !

Une nouvelle gifle retentit, suivi d’autres coups. Maurice a de nouveau perdu le contrôle et couvre sa belle fille de coups aussi violents les uns que les autres. Emilie tente de riposter et soudain tout s’arrête. Plus un mouvement, plus un bruit ne vient percer le silence de la chambre. Elle relève craintivement la tête et se retrouve nez à nez avec une statue de marbre noir. Elle a transformé son beau-père en marbre…
Elle hésite un instant à lui redonner forme mais jette un regard à sa mère et ferme son sac avant de fuir la bicoque familiale.
Il est temps pour elle de disparaître.

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BANFANMINI

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